L’encyclique Humanæ vitæ cinquante ans après

Source: FSSPX Actualités

Publiée le 25 juillet 1968, l’encyclique de Paul VI, Humanæ vitæ, fait l’objet de plusieurs études, livres ou articles, non seulement parce que 2018 marque son cinquantième anniversaire, mais aussi et surtout parce qu’il est actuellement question de la « réviser » en fonction des mœurs contemporaines.

UN LIVRE QUI NE PLAIRA PAS AUX PARTISANS D’UNE « REVISION » D’HUMANÆ VITÆ

Parmi les publications récentes, le vaticaniste Sandro Magister signalait, le 27 juillet, l’ouvrage de Gilfredo Marengo paru en italien à la Librairie éditrice vaticane : « La nascita di un’enciclica : Humanæ vitæ alla luce degli Archivi Vaticani » (La naissance d’une encyclique : Humanæ vitæ à la lumière des Archives vaticanes ».

Le travail en cours pour démolir Humanæ vitæ – l’encyclique de Paul VI de 1968 qui a dit non aux contraceptifs artificiels – vient de buter ces derniers jours sur un livre qui reconstruit la genèse de ce texte, grâce à l’accès, pour la première fois, aux documents secrets qui la concernent, autorisé par le pape François en personne.

L’obstacle est d’autant plus sérieux que les partisans d’un « changement de paradigme », c’est-à-dire d’une libéralisation des contraceptifs – du cardinal Walter Kasper au théologien Maurizio Chiodi, auteur de la désormais célèbre conférence donnée à l’Université pontificale grégorienne qui a donné le ton de la campagne, avec l’approbation apparente du pape François –, s’attendaient justement à ce que ce livre ne constitue pas un obstacle, mais vienne au contraire soutenir leurs thèses.

En fait, l’auteur du livre a été le coordinateur d’un groupe de travail constitué il y a plus d’un an au Vatican précisément dans le climat d’une révision de Humanæ vitæ. Outre Marengo, en faisaient partie le théologien Pierangelo Sequeri, nommé par le pape président de l’Institut pontifical Jean-Paul II pour les sciences du mariage et de la famille, Angelo Maffeis de l’Institut Paul VI de Brescia, et l’historien Philippe Chenaux de l’Université pontificale du Latran.

Les partisans d’un « dépassement » de l’enseignement de Humanæ vitæ avaient salué la mise en place de ce groupe de travail avec enthousiasme, vu qu’il avait été soutenu par l’un des leurs, Mgr Vincenzo Paglia, très proche du pape François, président de l’Académie pontificale pour la vie et grand chancelier de l’Institut Jean-Paul II. Le 8 mars dernier, le quotidien de la Conférence épiscopale italienne Avvenire – qui a pris lui aussi le parti des novateurs – allait jusqu’à prédire « des révélations surprenantes provenant des études autorisées par l’Académie pontificale pour la vie », concernant la genèse et donc également l’interprétation de Humanæ vitæ en des termes plus libéraux.

Entre temps, cependant, une première désillusion s’était abattue sur les novateurs, le 9 mai, de la part du plus éminent membre du groupe d’étude, Sequeri, qui au cours d’une conférence de haut niveau sur Humanæ vitæ donnée à l’Université catholique de Milan, avait réaffirmé que « la pratique qui procure et impose une stérilisation de l’acte conjugal était injustifiable ».

Mais à présent, avec la sortie du livre de Marengo, on passe de la désillusion à la consternation. Parce que le livre réfute avec la force des faits justement les thèses les plus chères aux promoteurs du changement.

Il suffit en fait de lire la recension qu’a faite de ce livre Andrea Tornielli – une source au-delà de tout soupçon vu sa proximité avec le pape François – pour comprendre l’échec cuisant du plan visant à utiliser la révélation des documents secrets de la préparation de l’encyclique de Paul VI pour soutenir un redimensionnement de son enseignement. (...)

Les faits eux-mêmes démentent l’hypothèse selon laquelle Paul VI aurait négligé, dans la préparation de l’encyclique, les exigences de la synodalité et de la collégialité, aujourd’hui tant exaltées – paradoxalement – alors que nous connaissons l’un des pontificats les plus monocratiques de toute l’histoire.

En 1967, l’année précédant sa publication, Paul VI avait demandé à deux cents Pères synodaux rassemblés à Rome pour la première assemblée ordinaire du Synode des évêques de lui faire parvenir leurs opinions en privé. Ils furent 26 à lui répondre et leurs avis se trouvent dans le livre. (...) Parmi ceux qui étaient favorables à admettre les contraceptifs, on retrouve certains cardinaux et évêques figures de proue du camp progressiste, de Suenens à Döpfner en passant par Léger. Et même au sein de l’importante commission d’étude constituée par Jean XXIII et ensuite renforcée par son successeur, il se trouvait plus de partisans que d’opposants. Mais il ressort du livre de Marengo que Paul VI « a soupesé très attentivement » leurs positions et qu’il les a rejetées – uniquement parce qu’il avait trouvé en elles « certains critères de solution qui se distançaient de la doctrine morale sur le mariage proposée avec une fermeté constante par le Magistère de l’Eglise ».

En d’autres mots, il ressort du livre que Paul VI, bien loin d’avoir été hésitant et dubitatif jusqu’au bout, a exercé « en vertu du mandat du Christ qui nous est confié » précisément ce « discernement » qu’on met tellement en avant aujourd’hui et qui, cette même année 1968, l’avait mené à reconfirmer solennellement les vérités fondamentales de la foi catholique contre les doutes qui se répandaient, avec la proclamation publique de ce qu’il a défini comme le Credo du peuple de Dieu (30 juin 1968) ».

Il ne reste qu’à souhaiter que cet ouvrage soit bientôt traduit en de nombreuses langues.

L’OSSERVATORE ROMANO DÉFEND HUMANÆ VITÆ... SOCIOLOGIQUEMENT 

Sous la plume de Lucetta Scaraffia, le quotidien du Vatican, L’Osservatore Romano du 25 juillet 2018 s’emploie à montrer l’actualité de l’encyclique Humanæ vitæ aujourd’hui encore, avec des arguments sociologiques qui ne sont pas faux mais un peu courts. 

Cinquante ans après sa publication, l’encyclique « Humanæ vitæ » de Paul VI se présente aux yeux des hommes d’aujourd’hui de manière complètement différente : en 1968, c’était un document courageux – et donc controversé – qui allait contre l’air du temps, celui de la révolution sexuelle, pour l’accomplissement de laquelle étaient fondamentaux un contraceptif sûr et la possibilité d’avorter. C’était aussi le temps où les économistes parlaient de « bombe démographique », c’est-à-dire du danger de surpopulation qui menaçait les pays riches et qui pouvait réduire leur prospérité.

Deux forces puissantes, donc, qui se rangeaient contre l’encyclique : l’utopie du bonheur que la révolution sexuelle promettait à chaque être humain, et la richesse qui aurait été la conséquence logique d’une diminution de la population à vaste échelle.

Aujourd’hui, cinquante ans après, nous voyons les choses d’une toute autre manière. Ces deux visions utopiques se sont réalisées, mais elles n’ont pas apporté les résultats espérés : ni le bonheur, ni la richesse, mais plutôt de nouveaux problèmes dramatiques.

Alors que l’effondrement de la population dans les pays développés a provoqué l’arrivée de masses d’immigrés, le contrôle médical des naissances favorise l’ingérence de la science dans la procréation, avec des résultats ambigus, souvent préoccupants et dangereux.

Aujourd’hui, alors que nous payons toutes les conséquences d’une brusque et forte dénatalité et que beaucoup de femmes, après des années d’utilisation d’anticonceptionnels chimiques, ne réussissent pas à concevoir un enfant, nous nous rendons compte que l’Eglise avait raison, que Paul VI avait été prophétique en proposant une régulation naturelle des naissances qui aurait sauvé la santé des femmes, la relation de couple et le caractère naturel de la procréation.

La fin de l’article est malheureusement dans « l’air du temps », pourtant dénoncé plus haut. Elle fait consister la « lucidité prophétique » de l’encyclique et sa « force innovatrice » dans le fait que Paul VI « a accepté la régulation des naissances et a invité les médecins à rechercher des méthodes naturelles et efficaces ». En un mot, une contraception écologique. Lucetta Scaraffia serait bien inspirée de relire l’allocution de Pie XII aux sages-femmes du 29 octobre 1951. 

Relire Humanæ vitæ à la lumière de Casti connubii et non pas d’Amoris lætitia

Dans Correspondance européenne (n°353, 20 juillet 2018), l’historien Roberto de Mattei rappelle les fins du mariage et leur hiérarchie. Car c’est bien l’oubli de cette hiérarchie qui mène à l’égalisation puis à l’inversion des fins du mariage, pour conduire à un alignement de la doctrine et de la morale catholiques sur les mœurs actuelles.

L’Occident a connu dans les dernières décennies une révolution anti-familiale sans précédents. L’un des pivots de ce processus de désagrégation de l’institution familiale fut la séparation des deux fins premières du mariage, la procréation et l’union des époux.

La fin de la procréation, séparée de l’union conjugale, a mené à la fécondation in vitro et à la GPA (Gestation pour autrui). La fin de l’union des époux, déconnectée de la procréation, a mené à l’exaltation de l’amour libre, hétéro et homosexuel. L’un des résultats de ces aberrations est le recours des couples homosexuels à la GPA pour réaliser une grotesque caricature de la famille naturelle.

L’encyclique de Paul VI Humanæ vitæ, dont c’est le cinquantième anniversaire le 25 juillet 2018, a eu le mérite de rappeler que les deux significations du mariage ne peuvent être séparées, et de condamner clairement la contraception artificielle, rendue possible dans les années 1960 par la commercialisation de la pilule du docteur Gregory Pincus.

Cependant, il faut dire qu’Humanæ vitæ est responsable aussi de ne pas avoir affirmé avec tout autant de clarté la hiérarchie des fins, à savoir le primat de la fin de la procréation sur la fin de l’union. Deux principes ou valeurs ne sont jamais sur un même plan, à égalité. L’un est toujours subordonné à l’autre.

C’est le cas pour les rapports entre la foi et la raison, entre la grâce et la nature, entre l’Eglise et l’Etat, et ainsi de suite. Il s’agit de réalités inséparables, mais distinctes et ordonnées hiérarchiquement. Si l’ordre de ces relations n’est pas défini, il en résultera des tensions et conflits, jusqu’à ce que l’on arrive à un renversement des principes. Sous cet aspect, le processus de désagrégation morale au sein de l’Eglise résulte également du manque de définition claire de la fin première du mariage dans l’encyclique de Paul VI.

Le pape Pie XI, dans son encyclique Casti connubii du 31 décembre 1930, affirma la doctrine de l’Eglise sur le mariage de façon définitive et obligatoire. Dans ce document, le pape rappelle à l’Eglise entière et à tout le genre humain les vérités fondamentales sur la nature du mariage, institué non par les hommes, mais par Dieu lui-même, et sur les bénédictions et les bénéfices qui en découlent pour la société entière.

La première fin est la procréation, qui ne consiste pas seulement à mettre au monde des enfants, mais à les éduquer, intellectuellement, moralement et surtout spirituellement, pour les mener à leur destin éternel : le Ciel. La seconde fin est l’assistance mutuelle entre les époux, qui n’est pas une assistance purement matérielle, ni une entente sexuelle ou sentimentale, mais avant tout une assistance et une union spirituelles. On peut lire dans cette encyclique une condamnation claire et vigoureuse de l’usage des moyens contraceptifs, définis comme « une chose honteuse et intrinsèquement déshonnête ». Donc : « tout usage du mariage, quel qu’il soit, dans l’exercice duquel l’acte est privé, par l’artifice des hommes, de sa puissance naturelle de procréer la vie, offense la loi de Dieu et la loi naturelle, et ceux qui auront commis quelque chose de pareil se sont souillés d’une faute grave ».

Dans ses nombreux discours, Pie XII confirma l’enseignement de son prédécesseur. Le schéma originel sur la famille et le mariage du concile Vatican II, approuvé par Jean XXIII en juillet 1962, mais rejeté au début des travaux par les Pères conciliaires, rappelait cette doctrine, condamnant explicitement « les théories qui, inversant l’ordre juste des valeurs, mettent la fin première du mariage en second plan par rapport aux valeurs biologiques et personnelles des époux et qui, dans le même ordre objectif, désignent l’amour conjugal comme fin première » (paragraphe 14).

La fin de la procréation, objective et inscrite dans la nature, ne peut jamais manquer. La fin de l’union des époux, subjective et fondée sur la volonté des époux, peut disparaître. Le primat de la fin de la procréation sauve le mariage, le primat de la fin de l’union l’expose à de graves risques.

Il ne faut pas oublier, en outre, que les fins du mariage ne sont pas au nombre de deux, mais sont bien trois, car il y a aussi, subsidiairement, le remède à la concupiscence. Personne ne parle de cette troisième fin du mariage, parce qu’on a perdu le sens de la notion de concupiscence, souvent confondue avec le péché, selon la conception luthérienne.

La concupiscence, présente en tout homme – à l’exception de la Vierge Marie, qui fut préservée du péché originel – nous rappelle que la vie sur terre est une lutte incessante, parce que, comme le dit saint Jean, « dans le monde n’existe que concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et orgueil de la vie » (1Jn 2,16).

L’exaltation des instincts sexuels, inoculée dans la culture dominante par le marxo-freudisme, n’est autre que la glorification de la concupiscence et, par conséquent, du péché originel. Cette inversion des fins du mariage, qui mène inévitablement à l’explosion de la concupiscence dans la société, apparaît dans l’exhortation du pape François Amoris lætitia, du 8 avril 2016, où nous pouvons lire au paragraphe 36 : « nous avons souvent présenté le mariage de telle manière que sa fin unitive, l’appel à grandir dans l’amour et l’idéal de soutien mutuel ont été occultés par un accent quasi exclusif sur le devoir de la procréation ».

Ces paroles reprennent quasi textuellement celles que prononça au Concile, le 29 octobre 1964, le cardinal Léon-Joseph Suenens dans un discours qui scandalisa Paul VI. « Peut-être avons-nous trop mis l’accent sur la parole “Croissez et multipliez-vous”, au point de laisser un peu dans l’ombre cette autre parole, divine elle aussi : “Et ils seront deux en une seule chair” ? (…) Il reviendra ensuite à la Commission de rechercher si nous avons trop insisté sur le devoir de la procréation, si bien que l’autre fin, également impérative, à savoir le progrès de l’entente mutuelle conjugale, a été placée en quelque sorte à l’écart ».

Le cardinal Suenens sous-entend que la fin première du mariage n’est pas celle de croître et de se multiplier, mais bien que « les deux forment une seule chair ». On passe ainsi d’une définition théologique et philosophique à une description psychologique du mariage, que l’on présente non comme un lien inscrit dans la nature et ordonné à la propagation de l’humanité, mais comme une communion intime, ordonnée à l’amour réciproque des époux.

Une fois que l’on a réduit le mariage à une communion d’amour, le contrôle des naissances, qu’il soit naturel ou artificiel, est vu comme un bien que l’on doit encourager sous le nom de « paternité responsable », dans la mesure où il contribue à renforcer l’union conjugale.

Et il s’ensuit inévitablement qu’au moment où cette communion intime viendrait à manquer, le mariage devrait être dissout. Cette inversion des fins s’accompagne de l’inversion des rôles au sein de l’union conjugale. Le bien-être psychologique et physique de la femme se substitue à sa mission de mère. La naissance d’un enfant est perçue comme un élément perturbateur de la communion d’amour intime du couple. L’enfant peut être considéré comme un agresseur injuste de l’équilibre familial, dont il faut se défendre par la contraception, et, dans les cas extrêmes, par l’avortement.

L’interprétation que nous avons donnée des paroles du cardinal Suenens n’est pas exagérée. Dans la ligne cohérente de ce discours, le cardinal primat de Belgique, en 1968, prit la tête de la révolte des évêques et théologiens contre Humanæ vitæ. La Déclaration de l’épiscopat belge du 30 août 1968, fut, avec celle de l’épiscopat allemand, l’une des premières élaborées par une Conférence épiscopale et servit de modèle de contestation aux autres épiscopats.

Aux héritiers de cette contestation, qui nous proposent aujourd’hui de “réinterpréter” Humanæ vitæ à la lumière d’Amoris lætitia (2016), nous répondons donc avec fermeté que nous continuerons à lire l’encyclique de Paul VI à la lumière de Casti connubii et du magistère pérenne de l’Eglise.