Les merveilles du Ciel dans les psaumes (2)

Source: FSSPX Actualités

Suite de l’étude de l’abbé Patrick Troadec consacrée à la « patrie céleste ».  

5-Le royaume de Dieu 

La beauté du royaume de Dieu 

Exalté par les splendeurs du paradis, le Psalmiste invite les saints à bénir le bon Dieu pour leur avoir donné accès à ce lieu désigné ici sous le nom de royaume : « Que vos saints vous bénissent [ô mon Dieu]. Ils diront la gloire de votre règne et proclameront votre puissance pour faire connaître aux enfants des hommes votre puissance et la gloire de la grandeur de la beauté de votre royaume » (Ps 144, 10-12). « Vos saints proclament la gloire de la grandeur de la beauté de votre royaume, la gloire de la grandeur de sa beauté. Il y a donc pour votre royaume une certaine grandeur de beauté, c’est-à-dire que votre royaume a de la beauté, et une grande beauté. Puisque tout ce qui a de la beauté tient cette beauté de vous, quelle éclatante beauté doit avoir votre royaume ! » Voilà comment s’exprimait saint Augustin. Et pour aider ses lecteurs à sonder les merveilles célestes, il ajoutait : « Considérez ce monde, il est plein de beauté. Quelle éclatante beauté dans la terre, dans la mer, dans l’air, dans le ciel, dans les astres ! Est-ce que cette beauté n’est pas si parfaite qu’il semble qu’on ne puisse rien trouver de plus beau ? Et pourtant les vers, les rats et tous les animaux qui rampent sur la terre vivent avec vous, au milieu de cette beauté ; oui, ils vivent ici avec vous, au milieu de cette beauté. Quel doit donc être l’éclat de ce royaume où les anges seuls vivent avec vous ! » Et le grand docteur de l’Église en conclut que la contemplation ici-bas des splendeurs du Ciel a pour effet merveilleux de nous donner la force de tout supporter avec patience. 

Un royaume semblable à un festin. 

Notre-Seigneur utilise souvent l’expression de royaume pour désigner le Ciel. Annonçant le Jugement dernier, il prédit ce qu’il dira aux justes : « Venez les bénis de mon Père, recevez le royaume » (Mt 25, 34). Et pour nous inciter à le désirer, il le compare tantôt à un trésor caché dans un champ (Mt 13, 44), tantôt à une perle de grand prix (Mt 13, 45), tantôt encore à un prince qui fit un festin pour les noces de son Fils et qui envoya ses serviteurs chercher les invités (Mt 22, 2-3). 

Le Psalmiste avait déjà entrevu le bonheur du Ciel sous la forme d’un festin : « Que les justes soient comme dans un festin, qu’ils se réjouissent en la présence de Dieu, qu’ils soient transportés d’allégresse ! » (Ps 67, 4). La joie des justes est exprimée par un festin pour signifier qu’elle est vive et fait sur eux une impression semblable à celle que produit une nourriture exquise ; qu’elle est intime et non superficielle ; qu’elle fait pour ainsi dire partie de la substance des élus ; qu’elle les pénètre et les fortifie comme la nourriture que nous consommons. 

Les justes au Ciel expriment leur bonheur « parmi les chants d’allégresse et de louange, pareils au bruit d’un festin » (Ps 41, 5). Saint Augustin commente ainsi ce passage : « Dans la maison de Dieu, c’est une fête continuelle. […] La fête éternelle est célébrée par le chœur des anges, et le visage de Dieu vu à découvert cause une joie que rien ne peut altérer ». 

Dans un festin, l’on mange et l’on boit. David poursuit ainsi sa description du Ciel en allant jusqu’à utiliser le terme enivrement pour désigner l’impression produite chez les saints par la vision de Dieu. « Les fils des hommes (…) seront enivrés de l’abondance de votre maison » (Ps 35, 8). Évidemment, il ne faut pas imaginer le Ciel comme un lieu de beuverie. L’enivrement dont parle David est à prendre dans un sens spirituel. Bossuet l’explique très bien : « Loin de notre idée les joies sensuelles qui troublent la raison et ne permettent pas à l’âme de la posséder en sorte qu’on n’ose pas dire qu’elle jouisse d’aucun bien puisque, sortie d’elle-même, elle semble n’être plus à soi pour en jouir. Ici elle est vivement touchée dans son fond le plus intime, dans la partie la plus délicate et la plus sensible, toute hors d’elle, toute à elle-même, possédant celui qui la possède, la raison toujours attentive et toujours contente » (Bossuet, Fête de la Toussaint, 1669). 

Saint Robert Bellarmin tire d’autres leçons de l’image d’ivresse chez les élus : « L’homme admis au bonheur du Ciel est satisfait, car il est comblé et ne désire rien de plus. Cette plénitude de l’appétit rassasié est ici très bien rendue par le terme ivresse. Nous serons comblés et rassasiés, et par là même heureux, lorsque nous serons enivrés de l’abondance des biens qui sont dans la maison de Dieu ; car alors tout appétit se trouvant satisfait, nous nous abandonnerons au sommeil de l’éternel repos » (Explication des Psaumes, Vivès, 1855, I, p. 335). 

Le Psalmiste a évoqué dans un autre psaume l’idée de rassasiement éprouvé par les élus. « Je serai rassasié, disait-il au Seigneur, quand vous me découvrirez votre gloire » (Ps 16, 15). Ce cri d’enthousiasme a donné à saint Augustin l’occasion de préciser les limites de la notion de rassasiement pour exprimer la plénitude du bonheur des bienheureux. Le Seigneur « vous rassasiera sans cesse et ne vous rassasiera pas. Cette parole vous étonne. Mais si je dis qu’il vous rassasiera, je crains que vous ne pensiez à vous retirer quand vous serez rassasié comme on se retire d’un repas, d’un dîner. Que dirai-je donc ? Qu’il ne vous rassasiera pas ? Mais alors, si je vous dis qu’il ne vous rassasiera pas, je crains que vous ne redoutiez quelque indigence ou quelque vide, et que vous ne pensiez qu’il restera en vous quelque chose encore qu’il faille remplir. Que vous dirai-je donc ? Si ce n’est ce qu’on peut à peine énoncer, ce qu’on peut à peine concevoir : il vous rassasiera et ne vous rassasiera pas ; car je trouve l’un et l’autre dans les Écritures » (Saint Augustin, Discours sur les psaumes, Ps 85, n. 24). Ainsi, au Ciel nous serons rassasiés dans le sens où nous ne manquerons de rien, mais nous ne serons pas rassasiés c’est-à-dire que nous n’éprouverons pas le dégoût de la satiété.  

Saint Augustin conclut : « Si telle est donc cette ineffable et éternelle douceur, que réclame maintenant de nous le désir de la posséder un jour ? Rien d’autre qu’une foi sincère, une espérance inébranlable, un amour pur et la fidélité à marcher dans la voie que Dieu nous a tracée en supportant les tentations et en profitant des consolations » (Ibid.). L’évêque d’Hippone souligne le rôle des vertus théologales de foi, d’espérance et de charité pour nous unir à Dieu dès ici-bas et nous conduire à mériter l’accès à l’éternité bienheureuse. 

6. La terre des vivants 

Le Ciel est comparable à une montagne, à une maison, à une ville, à un royaume. Il est aussi semblable à une terre. Au paradis, il n’y a plus ni mort, ni maladie, ni vieillesse, d’où l’expression « terre des vivants » pour désigner le lieu où résident les bienheureux. 

La signification de « la terre des vivants » 

« Je plairai au Seigneur dans la terre des vivants » (Ps 114, 9). Quelle belle espérance que celle de David ! Saint Jean Chrysostome nourrit les réflexions qui jaillissent de son esprit à la lecture de ce verset : 

« Remarquez la justesse de cette expression : terre des vivants. C’est là en effet qu’est la véritable vie, qui n’est plus sujette à la mort et qui nous offre des biens purs et sans mélange. […] On ne verra partout que des justes sujets de joie, de paix, d’amour, de confiance, d’allégresse ; des biens véritables, d’un éclat pur, d’une durée permanente. Dans l’autre vie, il n’y a plus ni chute à craindre, ni colère, ni chagrin, ni amour de l’argent, ni désirs charnels, ni pauvreté, ni richesse, ni opprobre, ni rien de semblable. Que cette vie soit donc l’objet de nos désirs, et le but final de toutes nos actions » (Œuvres complètes, Vivès, 1868, V, p. 212). 

L’occupation des élus dans la terre des vivants 

Rempli d’espérance, David affirme avec conviction : « Je crois que je verrai les biens du Seigneur dans la terre des vivants » (Ps 26, 13). Dans la terre des vivants, l’âme voit les biens du Seigneur c’est-à-dire l’essence divine dans une vision intuitive et face à face. Notre Seigneur Jésus-Christ a décrit cette contemplation en ces termes : « La vie éternelle, c’est qu’ils vous connaissent, vous, le seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ » (Jn 17, 3). L’Apôtre saint Jean précise : « Nous lui serons semblables parce que nous le verrons tel qu’il est » (1 Jn 3, 2). « Maintenant, écrit saint Paul, nous voyons dans un miroir, de manière obscure, mais alors nous verrons face à face » (1 Co 13, 12). Mgr Lefebvre exprimait devant les religieuses de la Fraternité Saint-Pie X la sublimité de cette vision : « La vision béatifique, c’est quelque chose dont nous n’avons aucune idée, mais qui est infiniment supérieur à tout ce que nous pouvons imaginer. Le bon Dieu nous prend en lui en quelque sorte. La Trinité Sainte nous met dans sa famille pour voir le spectacle de la charité de Dieu et en jouir à l’intérieur même de la Trinité » (Retraite, Saint-Michel-en-Brenne, Quasimodo 1989). C’est à cette vision bienheureuse qu’aspire le Psalmiste lorsqu’il dit : « Je crois que je verrai les biens du Seigneur dans la terre des vivants ». 

La lumière de gloire 

L’intelligence créée, si haute soit-elle, a besoin d’une lumière surnaturelle qui l’élève et la fortifie pour qu’elle devienne capable de voir Dieu tel qu’il est. Cette lumière, appelée lumière de gloire, est évoquée dans les psaumes. 

« En vous, [Seigneur], est la source de la vie et, dans votre lumière, nous verrons la Lumière » (Ps 35, 10). Saint Robert Bellarmin s’appuyant sur les commentateurs les plus dignes de foi explique ce que signifie l’expression « dans votre lumière ». « C’est avec raison que dans ce passage, les théologiens voient la lumière de gloire qu’ils regardent comme nécessaire pour la vue de Dieu. Dieu, en effet, est Lumière, mais “une lumière inaccessible” (1 Tm 6, 16). Et voilà pourquoi, si l’âme n’est pas purifiée, n’est pas fortifiée par ce don de Dieu qui est la lumière de gloire, elle ne peut immédiatement fixer cette Lumière incréée. Nous verrons donc la Lumière qui est Dieu, mais dans la lumière même de Dieu, c’est-à-dire à l’aide de cette lumière de gloire que le Seigneur donne à ceux qu’il daigne admettre au bonheur de sa vue » (Explication des Psaumes, Vivès, 1855, I, p. 337). 

7. Un lieu indéfinissable 

Quelle que soit l’image utilisée pour désigner le Ciel, il est impossible de nous en faire une idée exacte. Voilà pourquoi saint Paul déclare : « Ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté dans le cœur de l’homme, voilà ce que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment » (1 Co 2, 9). L’Apôtre des Gentils définit le Ciel en utilisant des négations pour nous faire comprendre qu’il n’y a pas ici-bas de correspondant dans l’univers matériel ni dans la vie terrestre pour nous permettre d’en avoir une juste idée.  

Le Ciel n’est pas un idéal humain, c’est l’idéal divin. Dieu a un idéal proportionné à sa nature. Or, étant tout-puissant, n’étant pas limité, il est tout-à-fait capable d’atteindre son idéal. Et non seulement, il peut l’atteindre, mais il est capable d’en faire participer ses créatures. Or, précisément, c’est là son intention. Dieu a eu comme but d’associer les hommes et les anges à son bonheur. Et le Ciel, c’est cela : une participation au bonheur même de Dieu. Puisque la béatitude du Ciel est impossible à décrire adéquatement, David se contente d’utiliser l’expression vague de « lieu que Dieu a préparé » pour parler du paradis. C’est en ce sens que saint Augustin explique le passage suivant du psaume 83 : « Heureux l’homme qui attend de [Dieu] son secours ! [Dieu] a disposé des degrés dans son cœur, dans la vallée de larmes jusqu’au lieu qu’il a préparé » (Ps 83, 6-7). En d’autres termes, Dieu bénit celui qui attend de lui son secours en faisant grandir en son cœur la charité dès cette terre désignée par l’expression « vallée de larmes » jusqu’au Ciel où il aspire. Voilà l’interprétation de saint Augustin : « Que veut dire dans le lieu qu’il a préparé ? Ce lieu que Dieu a préparé, s’il était possible de le dire, le Prophète le dirait. Que vous dira-t-il ? Ce lieu est une colline, c’est une montagne, c’est une terre, c’est un pré ; ce lieu a reçu tous ces noms. Mais, ce qu’il est en réalité et non par comparaison, qui nous l’expliquera ? […] Ne cherchez pas le lieu désigné par ces mots : le lieu qu’il a préparé. Ce lieu est connu de celui qui a préparé l’endroit où il vous conduira au moyen des degrés disposés dans votre cœur. Et ce lieu sera pour nous le séjour de la joie ». 

Mgr Lefebvre résume en quelques mots les splendeurs du Ciel : « Le Ciel est tellement beau, tellement splendide, tellement émouvant qu’il nous ravira et que nous serons transportés de joie en approchant de celui qui est notre Dieu. Approcher de lui, c’est approcher de la Lumière, de la Charité, de l’Amour. […] Tout ce que nous pouvons savoir du Ciel nous fait espérer qu’un jour, nous irons rejoindre ceux qui s’y trouvent et qui jouissent d’un bonheur éternel » (Homélie, Écône, 1976). 

8. Affections et prières 

David ne se contente pas de chanter les merveilles du Ciel, il implore constamment l’aide de Dieu pour recevoir la grâce d’y accéder. 

Avec son style poétique, il met en parallèle les deux villes de Jérusalem et de Babylone, la première désignant le Ciel et la seconde la terre d’exil où nous sommes. Vu le danger où nous nous trouvons de nous installer ici-bas, il nous met en garde et nous rappelle que la Jérusalem céleste doit avoir constamment la première place dans notre cœur. Il proteste de son attachement au bon Dieu en déclarant avec détermination : « Si je t’oublie, ô Jérusalem, que ma droite soit elle-même oubliée. Que ma langue s’attache à mon palais si j’oublie ton souvenir, si je ne mets Jérusalem la première dans mes cantiques de joie » (Ps 136, 5-6). 

Saint Augustin commente ainsi ces versets : « À cela, on reconnaît les citoyens de la patrie céleste. Et c’est la marque infaillible qui décèle les élus de Dieu, s’ils n’oublient pas la patrie d’en haut ni dans le bonheur ni dans l’adversité, s’ils préfèrent perdre l’usage de la main et de la parole plutôt que de ne pas travailler à la gloire de Dieu et au salut éternel, et s’ils ne connaissent pas de joie plus sérieuse et plus grande que celle que l’on place dans l’amour et l’espérance de cette demeure qui n’a pas été faite par les mains des hommes, où réside la divine allégresse et dont il est dit dans l’Évangile : “Entre dans la joie de ton maître ” [Mt 25, 21] ». Entrer dans la joie de Dieu, c’est entrer dans son bonheur, c’est participer à son bonheur ou encore, comme le dit Élisabeth de la Trinité, c’est « être fondu avec celui que l’on aime, être semblable à lui parce qu’on le voit tel qu’il est ». 

9. La contemplation du Ciel : un soutien dans les épreuves 

Une lecture attentive des psaumes nous fait voir combien ils sont parsemés d’allusions au Ciel. L’approfondissement des métaphores qui désignent le lieu de la béatitude éternelle ne nous permet pas de nous en faire une idée parfaite, mais nous fournit des éléments de réflexion propres à susciter en nous un grand désir du Ciel.  

Les descriptions données par l’écrivain sacré, enrichies par les commentateurs des saintes Écritures, aident à comprendre les propos de saint Paul aux Corinthiens : « La tribulation insignifiante du moment présent nous prépare, au-delà de toute mesure, un poids de gloire pour l’éternité » (2 Co 4, 17). Oui, les épreuves de la vie ne sont rien en comparaison de la récompense qui y est attachée dès lors que nous les supportons chrétiennement. Aussi, elles sont plus faciles à accepter lorsque nous admirons régulièrement la gratification qui nous est promise, à savoir la contemplation et la jouissance de merveilles qui dépassent l’imagination et l’entendement. 

Le Psalmiste après avoir dit : « Je crois fermement voir un jour les biens du Seigneur dans la terre des vivants », continuait : « attendez le Seigneur ; agissez avec courage ; que votre cœur prenne une nouvelle force, et soyez ferme dans l’attente du Seigneur » (Ps 26, 13-14). Saint Robert Bellarmin a fait ce beau commentaire : « Ô mon âme, puisque tu désires habiter la maison de Dieu, puisque tu as reçu tant de gages de son amour, puisque tu crois voir les biens du Seigneur dans la terre des vivants, ne faiblis pas dans les tribulations, ne cherche pas les consolations de la terre, mais attends avec patience, affermis-toi dans le Seigneur, agis avec courage jusqu’à ce que les jours mauvais fassent place aux bons » (Explication des Psaumes, Vivès, 1855, I, p. 209). 

Après des propos si engageants, contemplons à notre tour amoureusement les splendeurs du paradis afin de pouvoir accéder un jour à l’éternité bienheureuse pour laquelle nous avons été créés et pour laquelle Notre Seigneur Jésus-Christ est mort, est ressuscité et est monté aux cieux. 

Abbé Patrick Troadec