Vincent Lambert : nouvel épisode dans l’acharnement juridique

Source: FSSPX Actualités

La justice est pressée. Alors qu’un recours en Cour de cassation prend toujours du temps, il n’a fallu que trois semaines pour réunir l’Assemblée plénière de cette instance, qui regroupe toutes les chambres de la cour, autour du cas de Vincent Lambert. La Cour qui siègeait le 24 juin a annoncé qu'elle rendrait sa décision dès le vendredi 28 juin 2019.

En attendant la décision de justice – d’un caractère politique évident –, l’enseignement de Pie XII au sujet de la réanimation et des soins est à redécouvrir : en quelques mots, il avait donné une solution lumineuse à toutes les questions qui se posent ici.

Le magistère de l’Eglise

L’enseignement de l’Eglise en matière de foi et de mœurs est nommé « magistère » pour signifier qu’il s’impose aux fidèles par voie d’autorité, suivant des degrés dont le plus élevé est l’infaillibilité. Cette autorité, lorsqu’elle respecte les conditions de sa mission, est celle même de Dieu : « Celui qui vous écoute, m’écoute, et celui qui vous méprise, me méprise ; or celui qui me méprise, méprise Celui qui m’a envoyé. » (Lc 10, 16). Ainsi l’Eglise est dépositaire d’un riche et vaste enseignement dans le domaine de la vie humaine, qui s’impose avec plus ou moins de force à la conscience catholique.

Mais ce n’est pas seulement l’autorité divine qui s’exprime à travers son magistère, et qui donne de la valeur à cet enseignement, c’est aussi sa valeur rationnelle intrinsèque, et qui est accessible à toutes les intelligences. C’est ainsi que l’Eglise est la gardienne de la loi surnaturelle tout autant que de la loi naturelle.

La dignité humaine

Seule la foi nous enseigne que l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1, 26). C’est le fondement le plus profond de la dignité humaine. Pour le mesurer, il faut considérer que l’homme est appelé à devenir fils de Dieu, par la grâce, et à vivre éternellement avec Lui, s’il est fidèle au don de Dieu.

Cette dignité de fils de Dieu nous fait comprendre le commandement suprême du Christ : il faut aimer Dieu par-dessus tout, et notre prochain comme nous-mêmes. Ce commandement a été précisé d’une manière particulière par Celui qui nous jugera tous : « Toutes les fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25, 40).

C’est ce qui explique l’extraordinaire déploiement de charité au cours des siècles et les innombrables fondations religieuses pour secourir les plus faibles et les plus vulnérables : enfants, orphelins, malades, infirmes, prisonniers, esclaves, miséreux, vieillards, ignorants. Toute la misère du monde a été secourue par l’Eglise, à travers de multiples œuvres et institutions religieuses.

Le fait de la création implique que l’homme ne s’appartient pas lui-même, contrairement à ce que pense le libéralisme. L’homme appartient à Dieu qui lui a donné la vie dont il n’est que l’usufruitier. Il ne peut donc en aucune manière en disposer comme bon lui semble. La vie du prochain ne nous appartient pas davantage, ce qui est rappelé par le cinquième commandement : « Tu ne tueras point ».

Ouvrons une parenthèse pour une objection : cela signifie-t-il que Dieu proscrit la peine de mort ? Non point. Car la société civile, créée par Dieu, a le devoir de se défendre et de protéger ses membres. C’est ici qu’intervient la différence entre dignité humaine radicale, possédée par le seul fait d’être de nature humaine, et la dignité humaine opérative, qui dépend de nos actions, bonnes ou mauvaises. Celui qui défend sa patrie au péril de sa vie doit être honoré et récompensé ; celui qui prend lâchement des vies innocentes se déshonore et doit être puni, sans exclure la peine de mort.

La loi naturelle

Cette loi, dont nous déjà parlé, nous a été rappelée et confirmée par Dieu dans les Dix Commandements donnés à Moïse sur le mont Sinaï. Elle dérive de la loi éternelle qui se trouve en Dieu ; elle n’est autre que Dieu lui-même donnant sa loi à l’univers qu’Il a créé.

Or cette loi nous fait un devoir de préserver, autant que faire se peut, cette vie donnée par Dieu, et de combattre ce qui s’y oppose. Ce qui signifie que nous devons employer, selon les circonstances de temps, de lieux, de ressources, de secours, les moyens nécessaires à la conservation de la vie. Cette affirmation entraîne une interrogation capitale, dont la résolution est la clef de notre question.

Cette question la voici : nous sommes tenus de conserver la vie et la santé, mais jusqu’à quel point ? Sommes-nous, par exemple, obligés d’employer toutes les ressources qu’un système de santé peut fournir à un moment donné ? Ou bien pouvons-nous au contraire faire un choix, refuser ce qui nous déplaît ou ce qui nous gêne ?

La question a été posée spécialement à propos de la réanimation au pape Pie XII qui y a répondu dans son Discours sur les problèmes de réanimation, le 24 novembre 1957. Voici le passage important : « La raison naturelle et la morale chrétienne disent que l’homme (et quiconque est chargé de prendre soin de son semblable) a le droit et le devoir, en cas de maladie grave, de prendre les soins nécessaires pour conserver la vie et la santé. Ce devoir, qu’il a envers lui-même, envers Dieu, envers la communauté humaine, et le plus souvent envers certaines personnes déterminées, découle de la charité bien ordonnée, de la soumission au Créateur, de la justice sociale et même de la justice stricte, ainsi que de la piété envers sa famille. Mais il n’oblige habituellement qu’à l’emploi de moyens ordinaires (suivant les circonstances de personnes, de lieux, d’époque, de culture), c’est-à-dire les moyens qui n’imposent aucune charge extraordinaire pour soi-même ou pour un autre. (…) Par ailleurs, il n’est pas interdit de faire plus que le strict nécessaire pour conserver la vie et la santé, à condition de ne pas manquer à des devoirs plus graves ».

Moyens ordinaires et extraordinaires

Cette distinction permet de mettre en place, au moins du point de vue théorique, la solution de la difficulté. Mais il faut bien en comprendre les termes, sous peine de tout confondre.

Tout homme est tenu aux moyens ordinaires ; il doit les employer. S’y refuser serait se dérober au commandement divin et à la raison droite. Mais il n’est pas obligé d’employer les moyens extraordinaires, même s’il lui est permis d’en user. Voilà qui semble net. Mais la question rebondit : comment déterminer si un moyen est ordinaire ou extraordinaire ?

Il faut poser une première distinction entre l’aspect objectif et l’aspect subjectif. Un moyen qui paraîtra – et sera en réalité – ordinaire à l’un, ne le sera pas pour un autre, d’un pur point de vue subjectif, et cela pour des raisons très diverses et qui peuvent être, pour certaines, fort déraisonnables. Mais la médecine soigne des personnes dont la volonté doit être respectée dans les limites habituelles de la moralité. Il reste qu’il pourra se trouver des situations difficiles, où un refus revient à un quasi-suicide, par exemple chez une personne qui pourrait vivre encore longtemps.

Quant à l’aspect objectif, rappelons d’abord que, pour trancher une question difficile dans n’importe quel domaine, il faut demander conseil en s’adressant à celui qui est prudent et compétent. Si nous voulons un conseil juridique, nous nous adressons à un juriste, pour une construction, à un architecte. Ici, c’est le médecin qui est l’homme prudent, même si ce n’est pas vrai de tout médecin, car il n’en reste pas moins que bon nombre de médecins sont compétents et prudents dans leur domaine.

Revenons à la distinction entre moyen ordinaire et moyen extraordinaire. Voici quelques éléments qui entrent en ligne de compte pour les distinguer nettement :

1. Le degré de complexité du traitement proposé. C’est la différence entre une appendicectomie et une chirurgie cardiaque pour malformations chez le nouveau-né.

2. Le risque. Un traitement qui fait courir un risque majeur pour la vie du patient avec 50% ou plus de décès, est sans conteste un moyen extraordinaire.

3. Le coût. Cela peut nettement varier d’un pays ou d’un continent à l’autre. En France, le remboursement des soins est l’un des plus élevés au monde, mais ce n’est pas le cas partout. Sans oublier les à-côtés qui peuvent peser sur un budget modeste.

4. Les possibilités d’application ou faisabilité. C’est la différence entre un traitement ambulatoire, ou au domicile du patient, et celui qui nécessite une hospitalisation plus ou moins longue.

5. Le résultat attendu. Quel bénéfice le patient retirera-t-il du traitement reçu ? Ce bénéfice sera à évaluer en particulier à d’autres éléments comme le risque, la pénibilité, ainsi qu’à l’état du malade.

6. La durée. Le temps est à prendre en compte surtout dans les traitements qui s’annoncent longs et sans doute pénibles. Par exemple la dialyse rénale est un traitement adapté, avec peu de risques, au coût faible, faisable même à domicile, mais assez pénible sur le long terme. Certains peuvent arriver à se lasser, en sachant que l’arrêt de la dialyse sera sanctionné par une mort relativement rapide.

7. L’état du malade sous l’angle physique et moral. Il est inutile d’entamer un traitement douloureux et pénible, qui n’apportera qu’un sursis léger, chez une personne dont les forces permettent de prévoir une mort à relativement brève échéance.

Il faut ajouter que le jugement d’ensemble sur ce qu’il convient de faire peut varier – comme le dit très bien Pie XII – « suivant les circonstances de personnes, de lieux, d’époques et de culture ». Cela signifie qu’un moyen ordinaire, hic et nunc, dans notre pays industrialisé et doté d’un service de santé très développé, peut très bien devenir extraordinaire sur un autre point de la planète ; ou encore qu’un moyen considéré comme extraordinaire il y a vingt ou trente ans, puisse être considéré comme ordinaire aujourd’hui. C’est une question de circonstances, ce qui est normal dans le domaine moral.

Ainsi, la distinction entre moyen ordinaire et moyen extraordinaire fait droit à la volonté du patient. Mais elle montre les limites des « directives anticipées » qui ne peuvent donner qu’une indication générale. Prévues dans la loi Léonetti, elles sont rédigées alors que les problèmes ne se posent pas ou ne sont pas aussi pressants. Car ce n’est que dans la situation concrète que l’on pourra juger si un moyen est ordinaire ou extraordinaire. C’est pourquoi ces directives représentent un danger. De fait, elles ont été introduites comme un cheval de Troie en vue de promouvoir l’euthanasie.

La distinction entre moyen ordinaire et moyen extraordinaire fait également droit au refus de l’acharnement thérapeutique, du moins s’il est réellement constitué. On est toujours libre de refuser un traitement nécessitant de recourir à un moyen extraordinaire. C’est ainsi que dans le cas de la patiente américaine Karen Quinlan (1954-1985), les parents qui demandaient l’arrêt du poumon d’acier faisaient une demande légitime. Et la religieuse responsable qui refusait de poser ce geste aurait dû prendre le temps de lire Pie XII.

Donnons encore un dernier exemple. Un respirateur artificiel peut être un moyen extraordinaire s’il maintient en vie une personne mourante. Il est alors permis de l’arrêter, après avoir mis le patient sous sédation : tout cela est explicitement indiqué par le pape Pie XII. Mais ce respirateur peut aussi être un moyen ordinaire. Ainsi le syndrome de Guillain-Barré se complique assez facilement d’une paralysie respiratoire transitoire – d’une durée de quelques jours à quelques mois – nécessitant la mise sous respirateur. La guérison laisse rarement des séquelles. Il est clair dans cet exemple que l’on est tenu de prendre ce moyen.

Conclusion

Il n’est pas besoin d’être catholique pour saisir cette distinction entre moyens ordinaires et moyens extraordinaires, ni pour comprendre que l’alimentation ne peut jamais être rangée parmi les moyens extraordinaires : nous sommes tous tenus de nous alimenter et d’alimenter ceux qui dépendent de nous. Ainsi les responsables – les parents d’une personne incapable de se nourrir par elle-même, tout comme les médecins et les magistrats amenés à se prononcer à son sujet – ont le devoir de faire leur possible pour fournir l’alimentation à celui qui dépend d’eux.

Ainsi considérée, l’affaire de Vincent Lambert apparaît bien comme un acharnement de la part du système politique et judiciaire qui a clairement en vue une évolution de la loi actuelle, pour des raisons diverses, en vue de favoriser l’adoption nette et déclarée de l’euthanasie. Il reste à s’y opposer, tant sur le plan juridique que sur le plan moral, avec les armes du combat intellectuel en recourant aux arguments vrais, sans omettre l’arme la plus puissante : la prière.